Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog

Présentation

  • : LRDG 29 - Archives
  • : Bienvenue sur les archives des Radicaux de Gauche en Finistère.
  • Contact

Rechercher Dans Nos Archives

14 février 2013 4 14 /02 /février /2013 14:45

Le centre universitaire méditérranéen de Nice, chez M. Estrosi (UMP), organise un large débat autour de l'argent et l'éthique. Plusieurs thèmes accompagnent ces réflexions, parmi elles, on retiendra une intervention d'Axel Kahn  sur le "libéralisme et l'éthique".

 

Libéralisme et éthique, par Axel Kahn

 

 

L’éthique est la réflexion sur la vie bonne et sur les valeurs qui la fondent. Nul doute que la satisfaction des besoins, la répartition des biens, les échanges commerciaux, l’utilisation des richesses, c’est-à-dire l’activité économique, ne constituent un ensemble d’actions concernées au premier chef par un tel dessein. C’est pourquoi la question de l’argent, des moyens de l’acquérir et de ses usages est traitée depuis la plus haute antiquité, depuis le code d’Hammourabi jusqu’à Aristote, dans son ouvrage « Éthique à Nicomaque ». Après Aristote, la pensée scolastique définira les conditions dans lesquelles les richesses et l’argent peuvent au mieux être utilisés afin de garantir le bien commun.



Cette préoccupation est omniprésente chez les frères prêcheurs qui, au Moyen-âge, justifient les activités bancaires, le prêt, l’intérêt, etc. Au XVIIème siècle, la philosophie de la loi naturelle amorce une révision radicale en ce qui concerne la nature humaine qui devient celle d’un être engagé dans la guerre de chacun contre tous, guerre dans laquelle l’homme est un loup pour l’homme (Hobbes). Cependant, doté de raison, il est poussé, dans son intérêt, à accepter un contrat social dans lequel il abandonne une partie de ses droits naturels entre les mains d’un souverain, le Léviathan de Hobbes, l’État libéral de Locke, le Peuple-souverain  de Rousseau.



C’est là le moyen de concilier les intérêts particuliers et l’intérêt général. La vision anthropologique fondamentalement pessimiste des premiers philosophes du libéralisme se noircit encore au XVIIIème siècle avec Hume pour qui l’homme n’est guère qu’un animal comme les autres à la poursuite de son intérêt et de ses plaisirs, mû par ses passions mais mettant à leur service ses remarquables capacités mentales. Encore cet être est-il doté d’une capacité de sympathie qui impacte certains aspects de la société qu’il bâtit à son avantage.



Parmi les auteurs qui vont mettre en forme le volant économique de philosophie politique libérale, on peut très schématiquement opposer  Bernard Mandeville et Adam Smith. Le premier est l’auteur d’un pamphlet, la fable des abeilles, dont le sous-titre est devenu l’une des citations cultes du libéralisme, « Les vices privés font les vertus publiques », à condition que personne ne s’avise d’introduire de manière intempestive un quelconque objectif de vertu. Le second, ami de Hume, commence sa carrière en tant que professeur de philosophie morale et écrit « De la nature des sentiments moraux ».



Dix-sept ans après, il publie son « Essai sur l’origine de la richesse des nations », l’ouvrage fondateur de l’École classique du libéralisme. Tous les efforts de l’économiste vont tendre à montrer comment une société dont les membres sont en effet pour l’essentiel motivés par la satisfaction égoïste de leurs désirs et de leur cupidité va néanmoins être compatible avec les valeurs sur lesquelles le moraliste s’était penché, en d’autres termes à quelles conditions les vices privés, qu’il ne nie pas, peuvent-il déboucher sur les vertus publiques. La main invisible évoquée par Smith ne le permet qu’à la condition expresse  qu’un régulateur existe, garant de l’intérêt général, du bien commun. 


 
Toute l’histoire du libéralisme peut se résumer à l’évolution de ces deux courants fondateurs, l’un pour qui le seul moteur de l’économie doit être la satisfaction des droits et des désirs individuels et l’autre pour lequel la défense du bien commun exige l’intervention d’une autorité régulatrice qui s’en fait la championne. En fait, en particulier sous l’impulsion de l’École française, la tendance impulsée par Mandeville ne devait cesser de se renforcer au détriment de sa concurrente tout au long du XIXème siècle, contestée néanmoins de façon radicale par le marxisme. La succession des guerres mondiales, de la crise de 1929 et la concurrence bloc contre bloc entre les camps libéral et soviétique allaient marquer, au XXème siècle, le retour de l’État, sous la forme du New Deal de Roosevelt et la Théorie générale de John Maynard Keynes. La menace communiste s’évanouissant et au terme de la reconstruction de l’économie mondiale durant les trente glorieuses, la parenthèse keynésienne se referme dans les années 70-80 et la ligne assimilant la main invisible de Smith à des marchés autorégulateurs et bienfaisants, à condition d’éviter toute intervention de l’État, l’emporte. 

 

 

Quatre couples de dirigeants politiques et d’économistes marquent ce triomphe de la « ligne Mandeville » : Margareth Thatcher et Friedrich Hayek en Grande-Bretagne, Ronald Reagan et Milton Friedman aux États-Unis. Dérégulations rapides et généralisées, libéralisation totale des flux financiers, externalisation accélérée de la production dans les zones à bas coûts, augmentation des inégalités de revenu dans tous les pays sont quelques unes des conséquences de ce tournant vers un libéralisme ne voyant d’autre ressort à la croissance que la satisfaction des vices privés. La défiance vis-à-vis de toute immixtion publique dans la vie économique pose - et en réalité a toujours posé - la question de la démocratie majoritaire puisque cette dernière serait purement formelle si elle ne disposait pas des moyens financiers de mener à bien ses projets. Le résultat en est une défiance affichée par Friedman et, plus encore, par Hayek des systèmes parlementaires relayant la « dictature de la majorité » et la promotion d’un idéal singulier, celui du libéralisme économique chinois déconnecté de tout libéralisme politique.  

 

 

Au total, après bien des hésitations, le courant dominant du libéralisme a aujourd’hui théorisé la dissociation entre le jeu économique et la recherche du bien commun. En l’absence d’un tel dessein et des systèmes permettant de le poursuivre, le monde tel qu’il est devenu suggère que les vices privés ne peuvent guère qu’engendrer les vices publics. Aujourd’hui comme depuis des millénaires, l’économie est bien au centre du questionnement éthique. 

 

 

Sources : Marianne.fr, France-info, France-Culture,EDJ

Partager cet article
Repost0

commentaires