L’année dernière, le Système d’alerte rapide pour les denrées alimentaires et aliments pour animaux de l’Union européenne (RASFF) a reçu 551 notifications relatives à la qualité de la viande, des œufs ou des aliments carnés transformés d’origine polonaise. C’est un problème majeur, car nous produisons deux fois plus de viande et d’œufs que nous ne pouvons en manger. La Pologne est ainsi devenue le plus grand exportateur européen de volaille, notamment à destination de la Corée du Sud, du Japon, de l’Afrique du Sud et, surtout, de la Chine.

Le 31 décembre, le virus de la grippe aviaire H5N8, hautement pathogène, a été détecté dans un élevage de dindes de l’est du pays. Quelque 12 000 bêtes ont été abattues. Peu de temps après, d’autres foyers ont été découverts ailleurs en Pologne. Tous les pays asiatiques, mais aussi l’Ukraine et la Biélorussie, ont cessé d’acheter de la volaille polonaise.

L’Union européenne applique le principe de régionalisation

Le secteur serait menacé de faillites en série sans la solidarité de l’Union européenne, qui applique le principe dit de régionalisation : seule la viande originaire de la région où le virus est présent est frappée d’embargo, le reste de la production pouvant toujours être vendu dans l’UE. L’Allemagne demeure ainsi le premier acheteur de volaille polonaise (15 %), devant le Royaume-Uni et les Pays-Bas (8 % chacun). Grâce aux règles européennes, nous pouvons aussi commercialiser au sein de l’Union européenne le porc dont les autres pays ne veulent plus en raison de la présence en Pologne de la peste porcine africaine [huit autres pays européens sont touchés, sans compter la Grèce, où un cas a été répertorié début février].

Cela ne plaît pas à tout le monde, en particulier aux pays dont les producteurs de viande ont fortement souffert de la concurrence polonaise à bas coût. C’est pourquoi les éleveurs français font pression sur leur gouvernement afin qu’il ferme le marché devant la menace de grippe aviaire. Cette crainte n’est pourtant pas justifiée car la maladie se développe si rapidement que les poulets et canards contaminés meurent avant de finir le trajet Pologne-France.

Des contrôles discriminatoires

Bien que les producteurs français fassent pression, personne dans leur pays ne viole le droit communautaire. Les Tchèques et les Bulgares, eux, contrôlent un par un tous les lots de volaille expédiés de Pologne. Ces contrôles sont qualifiés de discriminatoires, car plus on met de zèle à chercher, plus grandes sont les chances de trouver quelque chose. Le droit européen interdit de telles pratiques, mais les administrations tchèques et bulgares n’en ont cure, elles protègent leurs producteurs – pourtant plus chers que les nôtres.

Sur les dix premiers mois de 2019 (dernières données disponibles), nous avons exporté pour plus de 5 milliards d’euros de viande de volaille et de porc. Environ 30 % de nos exportations de poulets, dindes et canards étaient destinés à des clients extra-européens. Les marchés asiatiques commençaient à peine à s’ouvrir. Soudain, il ne nous reste plus que l’Europe, incapable de manger toute notre volaille.

En outre, une bombe à retardement menace l’ensemble des exportations polonaises de viande vers l’Union européenne. Jusqu’à présent, l’incapacité du gouvernement à combattre la peste porcine africaine – alors que la République Tchèque a réussi à résoudre rapidement le problème – n’a pas affecté les expéditions de porc vers d’autres pays de l’UE. Cela peut cependant changer du jour au lendemain.

Les éleveurs polonais pourraient ne plus se relever

La propagation de cette maladie en Pologne effraie les Allemands, et le Land de Brandebourg a fait installer une clôture à sa frontière avec la Pologne. Cette barrière pourrait s’avérer insuffisante pour arrêter les sangliers [vecteurs de la maladie]. Le jour où le virus sera détecté en Allemagne, ce sera la fin des exportations polonaises de porc vers ce pays, car la Chine cessera immédiatement d’acheter de la viande allemande, et les Allemands n’arriveront pas à tout manger à eux seuls. Alors, en plus de ne plus acheter notre production, l’Allemagne inondera le reste de l’Europe de la sienne, moins chère. Après un tel coup, les éleveurs polonais pourraient ne plus se relever.

Si la grippe aviaire devait se propager en Pologne de la même manière que la peste porcine africaine, de nombreux élevages de volaille seraient aussi détruits. Ce n’est pas seulement le réchauffement climatique qui accroît les risques de pandémie. Nous portons nous aussi une large part de responsabilité en ne protégeant pas les élevages. Les propriétaires ont été si avides d’augmenter leur production qu’ils en ont oublié souvent de mettre en place les indispensables mais coûteuses mesures de prévention et de biosécurité. Ils pensaient avoir encore quelques années devant eux.

L’élévation rapide du salaire minimum a tiré leurs coûts vers le haut alors que notre compétitivité ne découle que des prix bas. C’est donc sur l’achat de matériels comme les tapis de désinfection que des économies ont été faites. Il n’est pas anodin que la grippe aviaire ait attaqué les élevages de Pologne, de Roumanie et de Bulgarie mais ne soit pas (encore) parvenue dans l’ouest de l’Europe.

Il suffit d’une pièce équipée d’un lavabo

Varsovie ne se préoccupe pas de cette bombe à retardement. Pour le PiS [Droit et justice, le parti au pouvoir], les exportations agroalimentaires sont aujourd’hui moins importantes que l’élection présidentielle de mai et la réélection d’Andrzej Duda. Le PiS veut acheter les électeurs ruraux en leur permettant de percevoir de nouveaux revenus non imposables. À partir du 18 février, il deviendra légal d’abattre des animaux dans presque n’importe quelle exploitation : il suffira d’une pièce équipée d’un lavabo. Le ministre de l’Agriculture ne cache pas que c’est un assouplissement des normes sanitaires mais, malgré cela, la viande produite dans ces conditions pourra être vendue dans les magasins et les restaurants. Les consommateurs n’auront même pas conscience de ce qu’ils mangent.

Jusqu’à maintenant, les agriculteurs qui faisaient de la transformation et du négoce de viande avaient l’obligation de l’acheter dans un abattoir professionnel avec la garantie qu’elle avait été contrôlée par un vétérinaire. Le corps des inspecteurs vétérinaires, soucieux de la sécurité alimentaire, était opposé à l’abattage dans les fermes, qui rend impossible tout contrôle.

Les contrôles vétérinaires deviendront fictifs

Ces inspecteurs sont mal payés et plusieurs centaines de postes ne sont pas pourvus. Quand il deviendra légal d’abattre des animaux dans les porcheries et les granges, beaucoup plus d’inspecteurs seront nécessaires, mais on sait déjà qu’il ne faut pas compter dessus. Les contrôles vétérinaires, déjà lacunaires, deviendront une complète fiction. [Déjà, en janvier 2019, 3 tonnes de viandes bovines issues d’animaux malades avaient été frauduleusement exportées vers 10 pays de l’UE dont la France].

Les saucisses maison pourront être contaminées non seulement par les virus de la peste porcine africaine ou de la grippe aviaire [en général inoffensives pour l’homme], mais aussi par la salmonelle ou par le parasite de l’incurable trichinose. De leur côté, les consommateurs perdront la garantie qu’en achetant de la viande dans un point de vente légal, ils sont en sécurité. Afin de ne pas se mettre à dos les consommateurs européens, le gouvernement assure que ces produits ne seront pas exportés.

Le nouveau décret du ministre de l’Agriculture détruira enfin de nombreux petits abattoirs familiaux ou les contraindra à travailler au noir. S’il est vrai que dans certaines régions d’Allemagne ou d’Autriche, les éleveurs peuvent eux-mêmes transformer la viande, ils ne peuvent utiliser que celle d’animaux provenant de leur propre exploitation.

Leurs collègues polonais, eux, peuvent abattre dans leur grange des veaux, vaches et cochons achetés dans toute la région, dans la limite de quelques têtes de bétail et d’une douzaine de cochons par jour. C’est énorme, et ce sont les conditions idéales de propagation de maladies dangereuses pour l’homme et pour d’autres élevages.