L’abstention et le populisme, d’extrême droite ou de gauche radicale, seront sans doute les grands vainqueurs des élections européennes du 25 mai. Et on peut déjà entendre les principales télévisions hexagonales, au cours d’une soirée électorale réunissant des invités purement français (garantis sans viande de cheval), pleurer sur la désaffection et le désintérêt des Français à l’égard de l’Europe. Larmes de crocodile. Comme celles qui ont suivi l’irruption tonitruante de Jean-Marie Le Pen au second tour de la présidentielle de 2002 sans que jamais, oh grand jamais, la télévision, et surtout le service public, ne se pose la moindre question sur sa part de responsabilité dans l’affaire, elle qui a matraqué pendant des semaines sur le thème d’une soi-disant insécurité grandissante et non, au hasard, sur la baisse historique du chômage, un angle tellement plus ennuyeux.
Dans les deux cas, le rôle délétère de la « télé » peut être épinglé. Et nul besoin d’attendre le lendemain du scrutin puisqu’on connaît déjà le dispositif mis en place par les grandes télévisions qui, comme d’habitude, vont traiter ces élections européennes comme un nouveau rendez-vous national. Faire un bilan avant la clôture des comptes, merci les télés !
Pourtant, pour la première fois dans l’histoire, l’enjeu des Européennes est non seulement identifiable, mais personnalisé, ce qui devrait faciliter le travail des télés. En effet, les cinq grands partis politiques européens (à l’exception de l’extrême droite et des souverainistes qui, par nature, sont allergiques à un candidat qui n’a pas leur nationalité) ont désigné une tête de liste qui a vocation à occuper le poste de chef de l’exécutif européen ! Simple à comprendre et surtout médiatiquement efficace ! Plus simple que d’expliquer les pouvoirs du Parlement européen qui en a beaucoup sans les avoir tous. Et coup de chance supplémentaire pour les médias audiovisuels français, tous, sauf le Grec Alexis Tsipras (gauche radicale), parlent français (et pour quatre d’entre eux allemand), ce qui facilite l’organisation de débats télévisés, soit à cinq, soit à deux ou trois, soit même des interviews (genre l’invité du journal de 20 heures, genre « Des paroles et des actes »).
Évitons les mauvais procès : je ne jetterais nullement la pierre aux chaines de ne pas avoir relayé le débat d’Euronews du 28 avril ou de refuser de diffuser celui prévu le 15 mai prochain, puisqu’ils sont en anglais. Un débat péniblement interprété à partir d’un mauvais anglais (aucun des impétrants n’est de langue maternelle anglaise), honnêtement, c’est pénible à suivre. Arrogance française ? Nullement : essayez de proposer un débat en français interprété en anglais à la BBC et on en reparlera.
En revanche, les télés pouvaient parfaitement monter leur propre débat/entretien. Or, pas manque de préparation ou désintérêt manifeste, elles ne le feront pas ou très peu. Les télés sont davantage mobilisées par la préparation du Mondial de Foot et du Festival de Cannes que pour ces élections européennes si difficiles à comprendre. « Mots croisés » d’Yves Calvi a bien contacté les deux principaux candidats, Schulz déjà cité, et le conservateur Jean-Claude Juncker pour un débat le 19 mai. Mais comme cette excellente émission de seconde partie de soirée s’y est prise très très tard (il y a deux jours…), l’agenda de ces hommes qui font une campagne continentale est déjà rempli… Seuls Guy Verhofstadt, pour les libéraux, et José Bové, tête de liste des Verts, seront présents. Jean-Claude Juncker a été rattrapé par les cheveux et fera un « quatre vérités » le 14 mai au (petit) matin. Martin Schulz pourrait aussi participer au même format. C’est peu, très peu.
Ah, j’oubliais : David Pujadas, le journaliste qui a cédé à Marine Le Pen en désinvitant l’Allemand Martin Schulz, candidat des socialistes au poste de président de la Commission, organise une soirée spéciale en prime time le 15 mai sur… l’euro. Bien vu : vous ne saviez pas qu’on votait le 25 mai pour ou contre l’euro ? Ça tombe bien, remarquez, c’est la thématique du Front National, celle de la sortie de l’euro, qui est ainsi mise en valeur, puisque c’est la seule thématique européenne qui sera ainsi traitée. Mais connaissant un peu la télé, personne n’a sans doute pensé à l’effet induit… Enfin, j’espère.
Toutes les télévisions ne sont cependant pas à mettre dans le même sac : France 24, TV5, ARTE, LCP, Public Sénat et même LCI (débat prévu le 13 mai entre Juncker et Schulz), la filiale de TF1, font leur boulot, ainsi que la multinationale Euronews. Certes, pas à des heures de grande écoute (entre 17 h et 19H, en général), mais c’est déjà mieux que rien. Mais que pèsent-elles face aux mastodontes TF1, France 2 et même France 3 ?
Donc disons-le tout net : les télévisions participent du désintérêt à l’égard de l’Europe, elles l’alimentent même. Comment se passionner pour une campagne européenne d’où l’Europe est absente en dehors des vociférations europhobes si médiatiques, comment ne pas s’en servir comme défouloir puisque les enjeux réels sont cachés ? Et le fait que le service public parvienne à peine à faire mieux que TF1 pose sérieusement question. La redevance doit-elle servir à alimenter le FN (oooppps, sans faire exprès, hein) et à payer Ruquier ou à servir la démocratie ?
Est-ce mieux à l’étranger ? En tous les cas en Allemagne et en Autriche, sans conteste. Les grandes chaines privées et publiques (ZDF et ARD) ont organisé des débats (aller et retour) entre les deux candidats les plus sérieux, Martin Schulz et Jean-Claude Juncker. Et eux, ils s’y sont pris à l’avance : « dès le début du mois de mars, tout était bouclé », note-t-on dans l’entourage des candidats. Il est vrai que la date du 25 mai est une sacrée surprise…
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