Lors de la primaire citoyenne l'idée de la démondialisation a été largement abordée. Alain POMES, responsable de la mise en cohérence des politiques au sein de la fédération du PRG du Finistère, propose une réflexion sur ce thème et une mise en perspective.
Depuis quinze jours il semble que le concept de démondialisation soit très en vogue dans les cénacles d’une certaine gauche. Il y a peu c’était l’altermondialisme soit « l’autre mondialisation » qui tenait le haut du pavé.
Mais pour les militants issus de notre famille, radicale socialiste, qui se voulait universaliste, il faut se rappeler que dans les années 70, celles des trente glorieuses et de la croissance, c’est la mondialisation qui nous faisait rêver.
Les fameux « pays en développement » devaient se développer, il était nécessaire de les laisser accéder à la richesse, à la culture, au progrès, à la démocratie, à tout ce qui faisait les valeurs occidentales. Décoloniser, accélérer le transfert du savoir et des outils du développement, y compris les outils financiers, était une impérative nécessité, un juste investissement dans l’équilibre du monde.
Alors que les bourses « s’effondrent », c'est-à-dire que s’inverse le mouvement de profit permanent et de croissance financière régulière auquel s’étaient habitués tous les traders du monde, on nous bombarde d’expressions définitives sensées apporter des explications là où manque le sens et la compréhension : crise, crise financière, crise du libéralisme, du capitalisme financier, absence de régulation, poids de la dette, patrons voyous, pays tricheurs… et s’il s’agissait de tout autre chose.
La tonalité du discours que l’on entend ces temps ci, c’est, d’une part, le catastrophisme et, d’autre part, la recommandation d’un retour en arrière, d’un arrêt de la croissance économique, du non développement du tiers monde, bref, c’est l’arrêt du progrès. C’est l’avènement d’un monde de frugalité.
Pour défendre cette manière de voir, on n’hésite pas à tout mélanger, à tout exagérer, afin d’inoculer aux populations traumatisées, notamment par les médias, le pire des virus : la peur !
Or ce que nous vivons en ce moment est tout sauf une crise tant ces événements étaient prévisibles, tant ils étaient inscrits dans leur propre genèse, tant ils sont logiques et inéluctables.
Nous y sommes. La Chine, l’Inde, le Brésil… tout une partie de l’ancien « Tiers Monde » est en train de se développer, d’accéder à l’économie de marché, au partage des richesses du monde et à la consommation. La voilà donc, « l’horreur économique », ces gens là osent vouloir fabriquer des tracteurs et des voitures, consommer des céréales et de la viande de bœuf, partager la Riviera et les stations de ski ou plus épouvantable encore consommer « notre » pétrole, « notre » charbon. Pire, ils osent acheter chez nous et donc faire grimper les prix (immobilier, vignobles, etc…) mais n'est ce pas là l'arroseur arrosé ? Monsieur Montebourg souhaite que nous vendions les vins de Bourgogne mais que nous stoppions l’importation des verres pour les boire. Lorsque Total s'installe en Afrique, partageons nous les richesses ou spolions nous un pays riche de ce pétrole qui nous manque tant dans notre société consumériste ?
Qu’il était doux le temps de la DS et de la Deux Chevaux, lorsqu’elles cohabitaient avec le pousse-pousse, la bicyclette ou même la marche à pied. Quelle horreur donc que la mondialisation. Ces pays que nous envahissions de notre technologie, contrôlions par notre monnaie et nos « comptoirs », dont nous pillions les matières premières, l’énergie et les ressources voudraient remettre en cause ce magnifique modèle où dix pour cent des habitants de la planète (nous) consommions quatre vingt dix pour cent des richesses. Oui, le capitalisme, notre modèle de développement, comme cela a été très bien montré dans tous les théories économiques est un système de vases communicants où le fort pille le faible. Tendanciellement, l’accès à d’autres formes de consommation, d’autres logiques économiques de redistribution et de répartition dans ces pays ne peut se traduire que part une baisse proportionnelle de notre niveau de vie, de notre part de richesse. Notre « part de marché » se rétrécit.
Pour un homme de gauche, savoir s’il est nécessaire de « démondialiser » c’est se poser une question simple : que se passait-il avant, avant la mondialisation, le monde était-il plus juste, les hommes plus solidaires ?
La solidarité est la perception d’un lien de dépendance entre les hommes, elle fut d’abord de proximité, rurale, villageoise puis intervillageoise. Elle a rapport avec l’affectivité, la sensibilité, elle repose sur l’intérêt porté à l’autre, un à priori favorable à la rencontre de l’autre. La solidarité consiste à prendre part à la situation de l’autre, à partager, à soulager.
Poser la question du rapport à la mondialisation implique de changer d’échelle. Aujourd’hui, par le développement des moyens de communication, la terre est devenue un « grand village ». Si les échanges à l’échelle planétaire existent depuis Marco Polo, le lien de dépendance entre les peuples, les systèmes économiques et politiques est devenu plus fort.
A cette échelle, être de gauche, être solidaire, signifie définir un droit à vivre décemment. La solidarité mondiale pose la question du partage des richesses, de l’accès aux matières premières, aux minerais, à l’énergie, aux biens de production et de consommation, la capacité de partager le savoir, les progrès techniques, sociaux et scientifiques, d’anticiper les événements.
La solidarité doit se traduire par des mécanismes de régulation à l’échelle du monde qui garantissent de favoriser prioritairement le développement local pour les populations locales et permettent la répartition par des mécanismes librement consentis.
Sur ces trente dernières années la croissance moyenne de l’économie mondiale, de l’économie réelle, l’accroissement véritable de nos richesses a suivi une courbe moyenne de 2,5 % par an. Pendant cette même période, notre système financier, notre illusion de l’Etat providence, notre utopie, nous ont laissé croire que nos produits d’épargne eux pouvaient rapporter 4 puis 8 puis 10 puis 15 % par an et assurer notre avenir. D’où vient la différence, toujours de ce fameux modèle des vases communicants, de notre incapacité à voir à long terme, notre méconnaissance des mécanismes de l’Histoire, notre repli sur un confort pratique.
Pour nous assurer une forte rentabilité de l’épargne, les opérateurs financiers, les fonds de pension ont massivement investi dans l’économie réelle. En achetant des entreprises, en prenant des participations au capital, en favorisant les fusions et les regroupements puis en imposant un modèle purement financier là où le capitalisme industriel, malgré tous ses avatars, avait réussi.
Si l’entreprise produit 2,5 % de croissance, pour arriver à des taux de retour sur investissement à deux chiffres afin de rentabiliser l’épargne, l’action, c’est relativement simple. Il suffit de réduire les charges, de freiner les investissements, de délocaliser, de tout redistribuer à l’actionnaire ou pis encore à ses gardes chiourmes, aux exécuteurs des basses œuvres qui seront rémunérés en stock options, en « assignats » à valoir sur le produit de leur forfait. Là où la fameuse règle des trois tiers : un tiers à l’actionnaire, un tiers à l’investissement, un tiers au salarié, guidait le « bon industriel » agissant en « bon père de famille », aucune entreprise ne peut survivre longtemps à la pression du prélèvement purement capitalistique. Des salariés licenciés, des économies d’échelle, des coûts rationnalisés, des investissements maîtrisés favorisent à court terme le profit immédiat de l’actionnaire mais entrainent la mort de l’outil industriel. Aucune importance puisque lorsque l’entreprise, tel un citron, a rendu son jus, les fonds spéculatifs la quittent pour aller investir dans une autre, ici ou ailleurs, du moins tant qu’il en reste. Alors qui accuser : la mondialisation, l’affreux patron qui n’est plus qu’un rouage, le manager qui applique la stratégie décidée par l’actionnaire, le spéculateur ou le banquier qui veut placer ses produits et enrichir ses clients ? Ses clients, nous même, chacun d’entre nous qui avons cédé au mirage de l’épargne, de l’assurance-vie, de l’assurance retraite. Nous sommes tous coupables, tous responsables mais surtout de notre ignorance.
Les peuples occidentaux vivent depuis longtemps à crédit, c'est-à-dire qu’ils consomment plus qu’ils ne produisent, plus qu’ils ne gagnent.
Nous consommons plus d’eau, plus d’énergie, plus de matières premières, plus de nourriture, plus de produits transformés que la planète entière ne serait capable d’en produire si chaque être humain vivait selon le modèle occidental. Il faudrait dix fois la Terre pour donner à chaque habitant de la planète le niveau de vie d’un américain du Nord, quatre pour celui d’un européen.
Comment payons-nous cela : à crédit, par le déficit et l’endettement.
Chaque américain qui gagne un dollar en consomme 1,5, chaque européen qui gagne un euro, 1,2, alors qu’un chinois qui gagne un yuan n’en consomme que 0,5 (la fameuse croissance chinoise est surtout portée par la consommation externe et non interne) et que beaucoup d’africains ne savent même pas ce que cela peut vouloir dire gagner un dollar.
Le crédit facile, le crédit à outrance, tout comme le déficit des comptes publics sont un puits sans fonds, une spirale d’échec qui, s’ils contribuent à maintenir artificiellement la consommation, détruisent les cycles de reconstitution des capacités économiques des hommes et des peuples.
Le mythe de l’épargne protectrice, du crédit facile et de la croissance permanente ont miné les fondamentaux de nos sociétés et nous empêchent d’imaginer une autre vision de la gestion des échanges entre les êtres humains. Car c’est là la définition fondamentale de l’économie : gérer les rapports d’échange entre les hommes.
Qu’a de durable notre modèle de développement, basé sur des modes de prélèvement issus des théories économiques du dix-neuvième siècle et qui s’essoufflent cent cinquante ans plus tard. Nous sommes déjà impuissants devant nos erreurs et notre aveuglement recherchant l'enrichissement le plus facile, le plus rapide, profitant des trouvailles du passé plutôt que d'investir dans les trouvailles du futur.
Ce modèle dit aux pays «en voie de développement », surtout ne faites pas comme nous, ne nous copiez pas, n’essayez pas de consommer à notre rythme, à notre niveau, vous n’y arriverez pas et par-dessus tout vous appauvrirez la planète en épuisant ses ressources. Laissez-nous notre pétrole puisque notre modèle sociétal en dépend et construisez des moulins. Faute de quoi nous vous ferons la guerre : économique, idéologique, morale voire militaire. Nous vous fermerons nos frontières et taxerons vos produits. Nous démondialiserons, essentiellement à notre profit.
Du troc au capitalisme, de l’autosuffisance à la consommation virtuelle, de nombreux modèles ont été expérimentés. Pour les comprendre, relisons Marx et Keynes sans les déformer, sans les interpréter. Valeur d’échange, valeur d’usage, valeur ajoutée, mécanismes de régulation, rôle des Etats et de la puissance publique, des concepts à redécouvrir.
D’une modernité surprenante ces approches économiques permettent la rénovation que nous devons accompagner.
Alors oui, revenons aux fondamentaux du développement économique maîtrisé: la liberté d’entreprendre dans les mécanismes de régulation de la société. Revenons au dialogue Nord/Sud véritable, à un co-développement et un partage des ressources du monde, pas à un G20 de façade dont la moitié du monde est exclu. Dirigeons-nous vers une véritable politique mondiale d’égalité des chances.
Là ou certains n’ont rêvé que de liberté et d’autres que d’égalité, ajoutons la fraternité universelle. Vive la mondialisation
Alain POMES
PRG29