Il n’y a pas que sur les campus français que les niveaux de stress et d’anxiété sont en hausse. C’est également le cas dans cerains pays figurant en tête des destinations favorites des jeunes Français qui poursuivent des études à l’étranger : les États-Unis, la Suisse, le Royaume-Uni et le Canada. Au Royaume-Uni, ils sont même devenus alarmants, si l’on en croit The Guardian. Dans un reportage paru en septembre, la journaliste Samira Shackle tentait de cerner les causes de l’épidémie de dépressions qui sévit sur les campus britanniques. “La crise a fait la une des médias en 2017 à cause du nombre de suicides qui se sont produits à l’université de Bristol, rappelle-t-elle. En dix-huit mois, à partir d’octobre 2016, douze étudiants au total seraient passés à l’acte. En novembre 2018, dans une rue glacée de Bristol, une manifestation a rassemblé des protestataires brandissant des pancartes réclamant un meilleur accès à l’aide psychologique.”

Or une enquête récente auprès de 38 000 étudiants inscrits dans les universités britanniques a mis en évidence les carences des établissements en la matière. Alors que près du tiers des étudiants interrogés déclarent souffrir d’isolement, beaucoup pointent les listes d’attente qui s’allongent pour obtenir un rendez-vous chez le psychologue, les délais atteignant couramment… douze semaines.

Universités britanniques : le plaisir d’apprendre cannibalisé

Impact des réseaux sociaux, manque de sommeil, précarité et endettement croissants, hausse des loyers, pression du marché du travail, dégradation des services publics : les origines du malaise sont multiples. Mais les universités sont également en cause, avec notamment l’augmentation des frais de scolarité, la raréfaction des bourses, le sous-financement chronique des dispositifs d’assistance. “Inciter les universités à se comporter comme des entreprises ne fait pas que cannibaliser le plaisir d’apprendre et l’utilité sociale de la recherche et de l’enseignement : cela nous rend aussi malades”, accuse l’ex-syndicaliste étudiant Marl Crawford.

Pourtant, depuis deux ans, de nombreuses universités britanniques ont pris des mesures pour lancer des cours sur la gestion du stress, faciliter l’accès au soutien psychologique et mieux informer sur les dispositifs existants, à l’instar de l’université de Bristol qui a doublé le budget alloué à l’assistance psychologique aux étudiants. D’autres initiatives paraissent plus contestables. “Cette année, l’université de Bristol a aussi lancé un cours sur la ‘science du bonheur’. Outre des conférences, il inclut des ‘travaux pratiques’ hebdomadaires : il s’agit d’apprendre à dormir davantage, à pratiquer la méditation, à savourer son plaisir ou à faire preuve de gentillesse.” Certaines universités mettent aussi des animaux de compagnie à la disposition des étudiants durant la période des examens ou organisent des séances collectives de yoga.

Autant de mesures qui ne devraient pas dispenser de s’attaquer aux véritables causes du malaise étudiant, souligne Eva Crossan Jory, représentante de la National Union of Students (NUS). “La mauvaise santé mentale des étudiants est liée aux conditions matérielles auxquelles ils se trouvent confrontés. Il faut réformer un système éducatif qui reproduit et exacerbe les inégalités sociales.”

En Suisse, des coachs étudiants

En Suisse aussi, on observe une demande accrue en matière de soutien psychologique de la part de leurs étudiants. “Pour certains, il y a le stress lié aux cours (‘ai-je le niveau ?’) ou l’obtention du diplôme final. Pour d’autres, le stress relatif au remboursement d’un prêt bancaire, au coût de la vie, à la nécessité de trouver un emploi dès la fin des études. Pour d’autres encore, le mal du pays, l’éloignement des parents, la difficulté de se faire de nouveaux amis, l’isolement que provoquent les réseaux sociaux”, écrit Le Temps.

Face à cette situation, deux établissements se distinguent par leur réactivité, selon le quotidien suisse : l’université de Genève et l’École polytechnique de Lausanne (EPFL). À Genève, entre 2002 et 2019, le nombre de consultations des psychologues de l’université est passé de 80 à 400 par an. “Du coup, certains n’arrivent pas à trouver des rendez-vous rapidement… mais le nombre d’heures dédiées se compte en milliers et les consultations se déroulent dans à peu près toutes les langues pour nos nombreux étudiants étrangers”, explique le responsable du Pôle Santé Social de l’université.

À Lausanne, les consultations sociales sont gratuites pour tous les étudiants de l’EPFL. En matière d’assistance psychologique, seule la première consultation au Centre hospitalier universitaire vaudois (CHUV) est gratuite, mais les suivantes sont remboursées. Les psychothérapeutes du CHUV forment en outre avant chaque rentrée universitaire des étudiants de deuxième et troisième cycles pour qu’ils fassent office de “coachs” auprès des nouveaux arrivants : ils sont notamment chargés de repérer les signes de détresse psychologique.

Au Canada, l’impact du contexte linguistique

Selon la commission de la Santé mentale du Canada, la moitié des étudiants présents sur les campus du pays ont recours un jour ou l’autre aux services d’aide psychologique, parmi lesquels 10 % se trouvent en situation d’urgence ou de crise. “Apprendre sous pression, devoir terminer des travaux souvent jusque tard dans la nuit et tout cela en cumulant fréquemment un emploi : les études mènent à tout et parfois même jusqu’à la dépression”, constatait en mars dernier Radio-Canada à l’occasion d’un sommet sur la santé mentale sur les campus canadiens qui s’est tenu à Toronto.

Une équipe de chercheurs de l’université de Saint-Boniface (USB), dans le Manitoba, conduit actuellement une étude pour comprendre le rôle du contexte linguistiquesur le stress et l’anxiété ressentis par les étudiants. Elle s’intéresse en particulier aux étudiants internationaux, aux francophones inscrits dans les universités bilingues et à ceux qui sont en séjour d’immersion. “Seule certitude pour l’heure : les jeunes femmes sont plus à risque. Toutefois, ce sont aussi celles qui ont trouvé de meilleurs remparts face au stress” en mettant en œuvre différentes stratégies pour gérer leur anxiété “comme faire de l’exercice, bien manger, bien dormir, etc.”

Aux États-Unis : accompagner les étudiants expatriés

Près d’un quart des étudiants inscrits dans les universités américaines ont été traités pour des problèmes d’anxiété en 2018 et 20 % ont connu des épisodes de dépression, selon une enquête de l’American College Health Association. Les étudiants américains sont par ailleurs de plus en plus nombreux à poursuivre des études hors des États-Unis – ils étaient 330 000 dans ce cas en 2016-2017. Un engouement pour les études à l’étranger qui conduit les universités à mettre en place des dispositifs d’accompagnement particulièrement attentifs à l’égard de ces étudiants, explique The Wall Street Journal.

“Il existe des facteurs de stress inhérents aux études à l’étranger. Un trouble psychologique qu’un étudiant parvenait à surmonter tant qu’il était aux États-Unis peut devenir plus difficile à gérer dans ces circonstances”, souligne Barbara Lindeman, directrice de la santé et de la sécurité internationales à l’université du Missouri.

Les spécialistes des programmes d’études à l’étranger, tel l’IES Abroad qui travaille avec plus de deux cents établissements d’enseignement supérieur aux États-Unis, ont mis au point des formations pour les enseignants et les familles d’accueil. Il s’agit en particulier de leur permettre d’identifier les signaux avant-coureurs d’états critiques. De nombreuses universités ont conçu des “plans d’action pour les soins de santé” à l’intention des étudiants qui partent à l’étranger. Ils incluent le plus souvent une préparation psychologique. Une fois sur place, l’étudiant expatrié peut également bénéficier de consultations à distance, via Skype, avec un psychologue rencontré avant son départ sur le campus de son université.