M. Jacques Mézard. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, il ne s’agit pas ici de la fermeture d’une niche financière ; il s’agit plutôt de l’ouverture d’une caverne d’Ali Baba. Quant aux quarante voleurs, ils sont identifiés de longue date…
M. le rapporteur, avec sa précision habituelle, a rappelé le nombre de comptes bancaires théoriquement détenus par des centenaires. À ce jour, en France, le meilleur moyen de se survivre, c’est de détenir un compte bancaire… C’est accéder à l’éternité de la meilleure manière qui soit ! On pourrait donc se réjouir de la longévité de ces 674 014 centenaires. Pourtant, l’INSEE – même si, en tant qu’élus locaux, nous savons qu’il se trompe souvent – évalue leur nombre à environ 20 000. On est donc loin du compte, même à raison de plus d’un compte bancaire par personne.
Si nous avons sans doute des milliers d’heureux et riches centenaires, nous avons surtout de nombreux bénéficiaires qui se retrouvent privés de sommes figurant sur des comptes dont ils n’ont pas connaissance. On peut faire à peu près le même constat pour les contrats d’assurance vie en déshérence, c’est-à-dire ceux dont le « titulaire ne se manifeste pas et n’est pas localisable » ou dont le « titulaire est décédé » et pour lequel « aucun ayant droit ne s’est manifesté ».
Constatons qu’il faut la conjugaison des forces de la Cour des comptes, de l’Assemblée nationale et du Sénat pour tenter de vaincre la résistance de la finance, monsieur le ministre.
Les montants concernés, s’ils sont difficiles à évaluer, sont colossaux. Quand on compare les efforts que nous déployons parfois pour économiser quelques millions d’euros avec l’importance des sommes en jeu – les avoirs bancaires non réclamés, entendus comme inactifs depuis au moins dix ans, se montent à 1,2 milliard d’euros –, on mesure l’importance du sujet. Quant aux contrats d’assurance vie ou de capitalisation non réglés, leur encours est estimé à un peu plus de 4,5 milliards d’euros. C’est considérable ! Pour appeler les choses par leur nom, il s’agit là d’un des vrais scandales de la République.
Même si les assureurs, contrairement aux banques, sont déjà obligés de s’informer du décès de leurs assurés et de rechercher les bénéficiaires, en pratique ces obligations sont imparfaitement respectées et les sanctions, jusqu’à présent très rares, paraissent peu dissuasives. Aussi, certains amendements qui ont été déposés auront toute leur utilité pour améliorer la situation de nos concitoyens.
Le cadre juridique actuel relatif à ces avoirs inactifs est loin d’être optimal et même « pâtit […] de faiblesses structurelles ». L’enjeu de la proposition de loi est donc de corriger cette situation. Nous nous réjouissons donc qu’elle puisse enfin aboutir.
L’une des principales faiblesses des dispositions législatives et réglementaires actuelles est l’absence de définition des comptes bancaires inactifs. La constatation de l’inactivité repose en pratique sur l’appréciation de chaque établissement de crédit, ce qui ne peut être satisfaisant. Autant demander aux braconniers d’élaborer les règles de lutte contre le braconnage !
Le premier mérite du texte est donc d’inscrire dans la loi une définition des comptes inactifs. À cette fin, il établit une obligation pour les établissements de crédit de les recenser. Ils devront pour cela procéder à la recherche des personnes décédées parmi leurs titulaires de comptes, en consultant le répertoire national d’identification des personnes physiques. En outre, ces établissements seront dans l’obligation de procéder au transfert des avoirs de ces comptes inactifs à la Caisse des dépôts et consignations – cela représente un progrès évident – trois ans après le décès du titulaire et au bout de dix ans pour les autres cas d’inactivité.
L’encadrement du devenir des avoirs – de la constatation de l’inactivité à l’application de la déchéance trentenaire, à l’issue de laquelle les sommes, confiées dans un premier temps à la Caisse des dépôts, reviennent à l’État – est la deuxième avancée principale de la proposition de loi.
Le texte prévoit un dispositif similaire pour les contrats d’assurance vie en déshérence. À cet égard, je remercie M. le rapporteur d’avoir complété et renforcé le dispositif par les amendements qu’il a fait adopter en commission visant, d’une part, à élargir le champ des contrats d’assurance vie concernés et, d’autre part, à créer un régime spécifique des « coffres-forts inactifs ». La notion même de « coffre-fort inactif » est très parlante…
L’article 7 bis, qui vise à obliger les notaires à consulter le fichier des comptes bancaires et le fichier des contrats d’assurance vie dans le cadre du règlement des successions, contribuera à réduire considérablement le nombre de comptes inactifs et de contrats d’assurance vie en déshérence, dont les sommes doivent être systématiquement restituées à leurs bénéficiaires.
Il faut le dire, nous avons une responsabilité collective, depuis de très longues années, dans la situation actuelle, qui est absolument lamentable.
Au final, ce texte devrait donc permettre de rendre à qui de droit les avoirs des comptes inactifs ou des contrats d’assurance vie en déshérence, au lieu qu’ils soient ponctionnés, parfois réduits à néant, par la perception de frais de gestion par les banques ou les assurances.
Dans la vie quotidienne, monsieur le ministre, on a parfois la surprise de s’entendre dire par un établissement bancaire qu’il est impossible d’ouvrir tel type de livret, au motif qu’on en possède déjà un – c’est ce qu’a vécu récemment l’un de mes proches. Et quand on cherche à accéder au compte en question, c’est un véritable parcours d’obstacles ! Même la Banque postale ne fait pas preuve d’une diligence exceptionnelle.
C’est donc dans l’intérêt non seulement des épargnants et de leurs ayants droit, mais aussi de l’État et des finances publiques que nous soutenons ce texte. En définissant ce qu’est un compte inactif, en créant de nouvelles obligations pour les établissements bancaires, en élargissant et en précisant celles des assureurs, en renforçant les contrôles et les sanctions, en encadrant strictement le devenir des sommes concernées, la proposition de loi représente une avancée indéniable pour les épargnants, leurs ayants droit et leurs bénéficiaires ainsi que pour les comptes publics. C’est pourquoi les membres du RDSE lui apporteront leur soutien unanime. (Applaudissements.)