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18 Novembre 2015
La parole est à M. Jacques Mézard, orateur du groupe auteur de la demande. (Applaudissements sur les travées du RDSE.)
M. Jacques Mézard, au nom du groupe du RDSE. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, je l'ai plusieurs fois rappelé à cette tribune, l'existence du groupe du RDSE, héritier de la Gauche démocratique, est consubstantielle à celle du Sénat de la République.
Aussi est-il légitime et naturel que notre groupe unanime, ulcéré par les provocations réitérées du président de l'Assemblée nationale contre le Sénat, prenne l'initiative, dans son espace réservé, d'un débat sur l'avenir du bicamérisme en France. (M. Yvon Collin opine.)
M. Philippe Bas. Il était temps !
M. Jacques Mézard. Au moment où l'unité nationale est invoquée heure par heure, à juste titre, est-il bien opportun, depuis janvier dernier et quelques jours après les attentats, que l'on remette en cause formellement l'existence du Sénat pour en faire un « pôle de contrôle parlementaire » sans aucun pouvoir réel ? Une assemblée émasculée dont nous ne doutons pas que les membres seraient désignés à la sauce du Conseil économique, social et environnemental, le CESE, ce qui se passe sur ce point de tout autre commentaire qui pourrait être désobligeant… (Sourires.)
Mme Françoise Laborde. Tout à fait !
M. Yvon Collin. Très bien !
M. Jacques Mézard. Sous prétexte de rénovation, le groupe de travail lancé par M. Bartolone détruit clairement le bicamérisme en reprenant dans sa proposition n° 10 les mêmes arguments fallacieux que ceux qui avaient été employés ici même au Sénat le 19 décembre 1968 par le ministre d'État Jeanneney venu dans cet hémicycle soutenir sans succès le projet de référendum du Président de Gaulle qui allait entraîner in fine sa démission.
J'ai dit que ce groupe de travail reprenait les mêmes « arguments fallacieux » que ceux utilisés en 1968, car sa composition reflète le même penchant partisan que celui de la trop célèbre commission Jospin sur la transparence de la vie publique.
Comment veut-on maquiller la destruction du Sénat ? La citation d'une seule phrase suffit : « La fusion du Sénat et du CESE redonnerait tout son sens à un bicamérisme fondé sur la complémentarité, et offrirait une tribune plus efficace aux forces actives de la nation pour faire entendre leur voix. L'enjeu d'une telle réforme n'est pas de diminuer le rôle du Sénat, mais est de mettre fin aux doublons et aux redondances de la procédure législative. La Ve République établit déjà un bicamérisme inégalitaire, il s'agit d'en tirer enfin les conséquences. »
Tout est dit. La manœuvre est grossière, éculée.
Comme le firent le président Monnerville et ses collègues pour le référendum de 1969, il nous revient, au nom du respect de nos institutions – ce mot a encore davantage de sens après ce que notre pays vient de vivre –, à nous, Sénat de la République, d'éclairer nos concitoyens, dans une Ve République qui a dérivé vers une hypertrophie du pouvoir présidentiel au détriment du Parlement, sur la nécessité de préserver et de rétablir un équilibre institutionnel. Pour cela, le Sénat législateur est indispensable.
Mes chers collègues, nous n'allons pas, comme le président de l'Assemblée nationale, embaucher une journaliste du Monde pour écrire un livre d'apologie. (Sourires.) Nous allons ici, mais aussi dans tous les médias et dans chacune de nos circonscriptions, dénoncer une stratégie populiste contraire aux intérêts de la nation, encore plus aujourd'hui qu'hier.
Cette stratégie, ne doutons pas qu'elle sera encore davantage exploitée lors de la prochaine élection présidentielle, et en premier lieu par les extrêmes. Elle a pour principal effet de discréditer et d'affaiblir la représentation nationale et la démocratie représentative. Il est regrettable que l'exécutif, en croyant se protéger, s'y prête, même par intermédiaire, en nous faisant supporter encore une fois une repentance pour autrui.
M. Loïc Hervé. Très bien !
M. Jacques Mézard. Je regrette que le Président de la République ait déclaré à Tulle, le 18 janvier 2014 : « Je n'ai jamais été candidat comme sénateur, c'est le seul regret que je peux nourrir – enfin, je ne suis pas sûr que ce soit un regret. » (MM. Yvon Collin et Henri de Raincourt s'exclament.)
Ce débat a un sens, il a un but : que chaque groupe, sans faux-fuyant, exprime clairement sa position sur la proposition n° 10 de ce rapport.
M. Yvon Collin. C'est sûr !
M. Jacques Mézard. Toute opinion est respectable en démocratie. Ce qui est condamnable, c'est le double langage au gré des commandes à géométrie variable des appareils partisans.
En guise d'exemple éclairant de double langage, je vous cite une phrase prononcée dans les murs du Sénat en avril 2014, lors d'un débat sur le bicamérisme : « Le bicamérisme est l'alliance de la puissance quasi sacrée du suffrage universel direct et de la richesse de nos territoires ; il est la vie et l'histoire des individus ancrées dans la diversité de notre géographie. Ainsi, le bicamérisme est la traduction institutionnelle de ce qui caractérise notre pays : l'unité dans la diversité. »
Qui a prononcé cette phrase ? Le président de l'Assemblée nationale lui-même ! (Exclamations ironiques sur les travées du RDSE, de l'UDI-UC et du groupe Les Républicains.)
Mme Françoise Laborde. Incroyable !
M. Henri de Raincourt. Magnifique !
M. Jacques Mézard. Vais-je y ajouter un extrait du discours d'investiture du président Bel ? J'avais cru, alors, à la sincérité de ses propos.
M. Henri de Raincourt. Cela, c'était une erreur ! (Sourires sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Jacques Mézard. Je les cite : « Nous avons tous entendu l'appel des grands électeurs pour confirmer le Sénat dans son rôle de représentant et de défenseur des libertés publiques, des libertés individuelles, des libertés locales. »
Mes chers collègues, les Français, dans ces heures graves qui marquent depuis janvier leur vie quotidienne, attendent-ils une énième réforme des institutions ? Peut-on invoquer à juste titre la stabilité des institutions comme rempart à l'accumulation d'événements dramatiques et vouloir, dans le même temps, les bouleverser ?
M. Yvon Collin. Non !
M. Jacques Mézard. Sécurité, emploi et pouvoir d'achat sont les vrais soucis de nos concitoyens.
Soyons directs : quand un exécutif se fragilise, il cherche naturellement des causes extérieures. Ce fut le cas du général de Gaulle après mai 1968 ; c'est aussi le cas aujourd'hui. Il est trop facile et injuste d'imputer les responsabilités à la représentation nationale, et au Sénat en premier lieu.
Qu'est-ce qui justifierait une strangulation du Sénat ?
Est-ce la qualité de son travail législatif ? Je le dis sans forfanterie, la grande majorité des universitaires, des journalistes spécialisés, des cadres de ce pays et les ministres en exercice eux-mêmes – espérons-le, sans double langage ! – déclarent que le travail du Sénat est, en général, de meilleure qualité que celui de l'Assemblée nationale par sa réflexion, son analyse technique et sa distance par rapport aux directives de l'exécutif.
M. Yvon Collin. C'est vrai !
Mme Sylvie Goy-Chavent. Très bien !
M. Jacques Mézard. Aussi, pourquoi réduire quasiment à néant le pouvoir législatif d'un Sénat dont l'action en ce domaine est reconnue comme très performante ?
Supprimer le pouvoir législatif du Sénat rendra-t-elle l'Assemblée nationale plus performante, plus libre, plus efficace et plus tolérante qu'aujourd'hui ? (Non ! sur les travées du RDSE et de l'UDI-UC.)
Qui représentera les territoires, les collectivités, ce qui est notre mission constitutionnelle ? Est-ce parce que le Sénat refuserait de se rénover, de se moderniser ? (Mêmes mouvements.) Mes chers collègues, la réponse est dans les actes. Qui a pris des initiatives fortes pour moderniser l'action parlementaire et le Sénat, et cela de façon accélérée tout au long de cette année 2015, pour développer l'utilisation des techniques de communication avec nos concitoyens, améliorer la réactivité lors des questions au Gouvernement, assurer la présence effective des sénateurs en commission, en séance, et accroître encore la qualité des rapports ? (C'est nous ! sur les travées du RDSE, de l'UDI-UC et du groupe Les Républicains.)
L'Assemblée nationale a-t-elle fait mieux ? (Non ! sur les mêmes travées.) À ce jour, en tout cas, elle n'a pas fait autant que le Sénat pour se rénover. Avant de donner des leçons aux autres, il est bon de balayer devant sa porte...
M. Yvon Collin. Absolument !
M. Jacques Mézard. Au reste, ce qui se passe aujourd'hui au plus haut de l'Assemblée nationale sur le principe de non-cumul des mandats est révélateur du « fais ce que je dis, mais pas ce que je fais ». (Bravo ! et applaudissements sur les travées du RDSE, de l'UDI-UC et du groupe Les Républicains.)
Dans son discours du 19 novembre 1968, le président Monnerville disait, parlant de Clemenceau : « C'est peut-être du jour où il est devenu sénateur qu'il a commencé à être un véritable homme d'État, parce qu'il était plus réfléchi, plus calme, plus posé, sans abandonner aucune de ses idées. »
Mes chers collègues, il est plus que temps que nous accueillions en notre sein nombre de hauts responsables de la République afin qu'ils deviennent plus sages ! (Rires sur les travées du RDSE, de l'UDI-UC et du groupe Les Républicains, ainsi que sur certaines travées du groupe socialiste.)
Le même président Monnerville déclarait, quelques phrases auparavant, paraphrasant l'exécutif de l'époque : « Le malaise semble s'installer encore davantage dans la vie de la nation, précipitons-nous sur la réforme des régions et du Sénat. » Mêmes causes, mêmes artifices, mêmes vieilles recettes...
Enfin, le plus important, ce qui doit, au-delà de nos différences de sensibilité, nous rassembler pour enfouir ce mauvais rapport dans les poubelles de l'histoire, et ce qui a toujours été l'honneur du Sénat, c'est la défense des libertés publiques et des libertés individuelles ! C'est là le cœur du bicamérisme à la française. (Très bien ! et applaudissements sur les mêmes travées.)
Après Georges Clemenceau, François Mitterrand et Michel Debré ont siégé au Sénat dans le groupe que j'ai l'honneur de présider.
François Mitterrand a toujours défendu le Sénat, et je ne citerai qu'une phrase de Michel Debré, extraite de son ouvrage Refaire la France : « S'il y avait la chambre unique, le Gouvernement perd son premier appui : il devient simplement la réunion des commissaires de la majorité. »
M. Pierre-Yves Collombat. C'est exact, et c'est le but !
M. Jacques Mézard. Le Sénat est-il moins sensible aux évolutions sociétales ? Bien sûr que non ! Le souvenir, encore si présent dans nos murs d'Henri Caillavet, de Robert Badinter et de tant d'autres, en est la marque : avortement, divorce, abolition de la peine de mort, mariage pour tous et, plus récemment, sur l'initiative de notre groupe, la recherche sur les cellules souches embryonnaires.
Le Sénat a majoritairement voulu voter ces réformes. Dois-je rappeler à nos collègues socialistes que le Sénat a adopté, voilà trois ans, le droit de vote des étrangers et que l'Assemblée nationale est restée muette !
Mme Éliane Assassi. Exactement !
M. Jacques Mézard. Disons-le, souvent, les exécutifs n'apprécient pas le Sénat et le marginalisent, encore aujourd'hui, considérant qu'il est une perte de temps, un obstacle, une assemblée où l'expression de votes libres, d'insoumission d'apparatchiks de tous poils et dans la tradition, est facilitée par l'élection au deuxième degré.
Être libre de son vote, être capable de dire à un gouvernement, à ses propres amis politiques : « Je pense que vous vous trompez, je ne vous suivrai pas dans cette voie », c'est l'essence même du bicamérisme, c'est l'honneur du Sénat de la République.
Mes chers collègues, les sénatrices et sénateurs de mon groupe défendront le bicamérisme et le Sénat de la République, parce qu'ils défendent l'équilibredes institutions, l'expression des territoires et, par-dessus tout, les libertés publiques – cette liberté qui est le premier mot de notre devise nationale et qui, en cette heure, est plus universelle que jamais. (Bravo ! et applaudissements sur les travées du RDSE, de l'UDI-UC et du groupe Les Républicains. – MM. Éric Jeansannetas et Jean-Pierre Sueur applaudissent également.)
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